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La France est-elle laïque ?

  • Photo du rédacteur: Armand Vanlerberghe
    Armand Vanlerberghe
  • 6 janv. 2024
  • 4 min de lecture


Alors que partout en France, on décore les églises, on illumine des crèches sur les places des villes, et on profite des jours fériés, certains voient dans cette tradition une offense au principe de laïcité républicaine. Depuis 1905, la République est en effet laïque, mais qu’est-ce que ça signifie vraiment ? Que dit réellement la loi 1905 dans laquelle le terme “laïcité” n’apparait pas une seule fois, quel est son but réel, et en quoi la laïcité de la République ne signifie pas la laïcité de la France ?


Que dit la loi ?

 

Qui a réellement lu les 43 articles de la « Loi du 9 Décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat » avant d’en parler ? On entend beaucoup citer les deux premiers articles, qui constituent les « Principes » de la loi :

  • Article 1 - « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

  • Article 2 - « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] »

 

On les connaît suffisamment pour ne pas s’y attarder, mais que disent les 41 articles suivants ? Ils sont pour la plupart consacrés aux attributions des biens et des pensions, à la formation, la rémunération du personnel et l’exercice des fonctions ecclésiastiques, ainsi qu’à la gestion du patrimoine mobilier et immobilier des lieux de culte. On y apprend entre autres que l’Etat ne versera plus de pensions aux associations religieuses, qu’il ne financera plus la construction de nouveaux lieux de culte et l’exercice des fonctions ecclésiastiques. L’Etat se réserve également la propriété des édifices religieux dont il a financé la construction avant une certaine date (18 Germinal an X, date à laquelle se sont organisés les cultes catholique et protestants en 1802). Il laisse aux communes la propriété des cimetières et des édifices religieux construits après cette date, et leur délègue l’inventaire et la gestion des biens prélevés aux associations religieuses.

 

L’intérêt de cette loi est clair : si la République se déclare laïque en ne reconnaissant plus aucun culte religieux, c’est parce que l’Etat ne souhaite pas continuer à financer l’Eglise.

 

Un texte obsolète ?


Or, si la laïcité est encore un sujet de tension aujourd’hui, c’est pour deux raisons qui n’ont aucun rapport avec les problèmes que la loi de 1905 devait résoudre.


La première raison est que l’exercice du culte religieux dans l’espace public est débattu non plus, comme il en était question en 1905, au sujet du christianisme, mais de l’Islam. La deuxième raison est qu’en ces fêtes de fin d’année, on installe un peu partout des symboles chrétiens sur les places publiques, comme des crèches et des Saint-Nicolas, ce qui semble contradictoire avec la laïcité Républicaine. L’article 28 stipule d’ailleurs clairement : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »

 

Cependant, une crèche installée sur un lieu public ne constitue pas un affront à la laïcité de l’Etat, car elle est d’une part temporaire au même titre qu’une exposition ouverte au public et ne nécessite pas l’intervention du personnel ecclésiastique ou d’un établissement de culte, et d’autre part car elle est, selon cette même loi, la propriété de la commune, seule habilitée à choisir d’en installer une sur un emplacement publique. Il serait néanmoins contraire au principe de laïcité d’Etat que de financer l’installation permanente d’un signe religieux sur un lieu public comme lieu de culte.

 

Enfin, si la République laïque permet quelques libertés aux fêtes et aux traditions chrétiennes, pourquoi n’en est-il pas de même pour les autres religions ?

 

L'héritage chrétien de la France


On oublie trop souvent que la France n’est pas QUE la République, et que la République n’est que le moyen d’organiser la France, mais ne fait pas son identité. En réalité, la loi de 1905 n’a posé aucun problème aux célébrations religieuses publiques qui se sont tenues en France depuis le début du XXe siècle jusqu’à sa fin. La France était ouvertement chrétienne et cela n’était pas confondu avec la laïcité Républicaine qui s’imposait dans le fonctionnement de l’Etat.


C’est seulement lorsque d'autres communautés religieuses se sont développées au sein de la République qu’on a cru légitime de vouloir d’une part garantir l’exercice religieux des chrétiens, en même temps qu'on censurait l'exercice religieux des musulmans. Sous couvert de laïcité, c’est donc une préférence religieuse qui s’est affirmée politiquement à travers la laïcité. La contrepartie de ce constat intervient plus récemment, lorsque le débat s'est renversé dans la direction opposée. En effet, en reconnaissant à la France ses racines chrétiennes, certains en appellent à la laïcité pour contraindre l'expression de la chrétienté tout en libérant l'expression de l'Islam, pour rééquilibrer la balance identitaire.


Ces deux positions sont évidemment contraires à l'esprit de laïcité décrit par la loi de 1905, et n'offrent aucune issue équitable au débat.


Une laïcité impartiale

 

Deux interprétations de la laïcité sont possibles. Soit elle peut reconnaître que la France a des origines chrétiennes et permettre l'expression de la chrétienté dans l'espace public, sans le permettre à l'Islam. Soit elle est impartiale et ne considère pas que l'héritage chrétien de la France offre plus de libertés aux chrétiens qu'aux musulmans.


La solution se trouve selon moi dans la deuxième interprétation, car la première soulève deux problèmes : d'une part, la France était presque intégralement chrétienne lorsque la loi de 1905 a été promulguée. Il serait donc absurde de défendre aujourd'hui l'exercice du culte chrétien en public à travers elle, sous prétexte que la France était chrétienne au siècle dernier. D'autre part, si on base le principe de laïcité sur la prévalence d'une religion par rapport à une autre à un instant donné (passé ou présent), on prend le risque d'en inverser le sens au fur et à mesure que les pratiques religieuses évoluent. En effet, non seulement la part des musulmans pourrait un jour dépasser la part des chrétiens en France, mais en plus la part des athées est déjà supérieure aux deux autres réunies.


Il est donc impératif de considérer la laïcité comme un principe impartial, et de rappeler que ni les racines chrétiennes de la France, ni la part grandissante des musulmans en France ne sont des raisons valables pour exempter une religion plutôt qu'une autre des restrictions de la loi 1905.

Armand Vanlerberghe

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